Opération reconquête. Si Emmanuel Macron a choisi de donner une interview dans le journal de 13 h de TF1, le 12 avril, à Berd’huis, commune de l’Orne d’un millier d’habitants, c’est bien pour s’adresser à la France des classes populaires, celle qui regarde le JT de Jean-Pierre Pernaut et vit en zone rurale ou périphérique, loin des métropoles. Car les sondages sont alarmistes pour le président : sa cote de popularité décroche dans les catégories populaires, selon un sondage Elabe, et jamais l’écart entre cette population et celle des cadres n’a été aussi important (27 % contre 65 %).
Surtout, une grande majorité de Français considère que le chef de l’Etat ne réduit pas la fracture entre la France qui va bien et celle qui galère : pour 74 % d’entre eux, les réformes sont « injustes », d’après une autre enquête Elabe, un sentiment qui a gagné six points en trois semaines. Et beaucoup de politiques attaquent le président sur ce sujet, notamment François Hollande, son prédécesseur, qui l’a accusé, dans son livre « Les leçons du pouvoir », de « creuser les inégalités ».
Après la flexibilité, la sécurité
Alors, la politique d’Emmanuel Macron, qui lance « en même temps » des mesures libérales et sociales (« libérer » et « protéger » dans l’argumentaire macroniste) est-elle déséquilibrée ? S’inspirant des expériences des pays scandinaves, Danemark et Suède, qui ont associé souplesse libérale et protection pour les plus faibles, le chef de l’Etat a-t-il réussi à installer une « flexisécurité à la française » ? Pour l’instant, c’est clairement non. Comme le résume Daniel Cohn-Bendit, ami et supporter du président : « Macron a commencé à flexibiliser, maintenant il faut sécuriser ».
D’abord libéraliser. Le diagnostic de l’exécutif était clair : pour relancer l’économie, il fallait d’abord lancer les réformes susceptibles de faire sauter les verrous à l’investissement et à l’emploi. D’où les ordonnances sur le Code du travail, applaudies par les organisations patronales. D’où aussi la suppression partielle de l’ISF et la baisse de l’imposition sur les revenus du capital, qui ont imprimé l’image du « président des riches ». « Expliquer que la baisse de l’ISF, payé par les plus riches, est bonne pour l’économie, c’est complètement inaudible, se désole un député LREM. Car on interprète encore les mesures avec un logiciel gauche-droite traditionnel ».
La déception de la réforme de l’assurance chômage
Le problème, c’est que ces mesures qui vont, à court terme, accroître les inégalités -notamment les baisses d’impôts pour les plus fortunés- n’ont guère été compensées par les réformes sociales. Grande déception : la réforme de l’assurance chômage, censée représenter le filet de sécurité. Le candidat Macron voulait permettre à « tous les travailleurs d’avoir droit à l’assurance chômage », les salariés démissionnaires mais aussi « les artisans, les commerçants indépendants, les entrepreneurs, les professions libérales », comme le soulignait son programme. A l’arrivée, la réforme s’avère très cosmétique. Entre 20 et 30 000 salariés démissionnaires devraient bénéficier des indemnités chômage, une petite partie des 200 000 démissionnaires inscrits à Pôle Emploi et une toute petite partie des 421 000 personnes en rupture conventionnelle en 2017, qui bénéficient des indemnités chômage. Ce dispositif créé par Nicolas Sarkozy avait eu un effet bien plus massif. Quant aux indépendants, seuls ceux qui sont liquidation judiciaire, affichant un bénéfice autour de 10 000 euros annuels, sont concernés, avec une allocation de 800 euros mensuels pendant six mois.
Surtout, une mesure phare, le « bonus-malus », qui vise à inciter les entreprises à limiter les contrats courts et les licenciements -par une taxe variable selon leurs pratiques- a été ajournée. Préconisé par le Prix Nobel d’Economie, Jean Tirole, ce système qui existe aux Etats-Unis, aurait mis le feu au monde patronal, notamment au Medef où la campagne pour la succession de Pierre Gattaz a démarré. N’empêche, cette reculade est un nouveau signal en faveur du patronat, alors que la mesure visait à rééquilibrer le cocktail social-libéral dans un sens plus protecteur. « Nous devrons absolument traiter ce sujet. Sinon, la réforme de l’assurance chômage aura peu d’effets sur l’emploi », nous confie un proche du chef de l’Etat.
Révolution copernicienne de la formation
Pour montrer qu’il veut aussi protéger, Emmanuel Macron va insister, dans ses interviews télévisées (à BFM TV également dimanche 15 avril) sur ses réformes sociales passées un peu inaperçues : la formation professionnelle et celle de l’apprentissage. Très techniques, difficiles à expliquer au grand public, les mesures portées par Muriel Pénicaud, la Ministre du Travail, sont susceptibles de bouleverser un système inefficace. Certains macronistes veulent passer à l’offensive sur le sujet : « c’est un élément essentiel de nos réformes qui visent à protéger les plus fragiles », souligne Gilles le Gendre, député LREM.
Et la majorité peut s’appuyer sur des avis d’experts indépendants. « C’est une véritable révolution copernicienne. Les tares de notre du système français étaient connues –bureaucratie, enchevêtrement de acteurs, aides mal ciblées- mais aucune des réformes n’était parvenue à les corriger », se félicite l’économiste Pierre Cahuc, qui avait vertement critiqué la réforme du code du travail, jugée trop timorée. En particulier, la suppression des intermédiaires collecteurs des fonds de la formation (les OPCA), liés aux organisations patronales, constitue un tremblement de terre. Et ce big bang devrait bénéficier aux plus faibles : les jeunes et les peu qualifiés qui sont les premières victimes du chômage. Avec sa « flexisécurité à la française », Emmanuel Macron a deux problèmes : il a fait beaucoup moins de « sécurité » que prévu. Et il a du mal à "vendre" ses réalisations à l’opinion…